À l’arrivée de l’élection cantonale fribourgeoise du 7 novembre 2021, nous voyons pousser comme des champignons les affiches aux bords des routes. La politique est en effet une affaire d’utilité publique et diffère en ce sens des campagnes publicitaires commerciales. Décryptage des différentes façons de promouvoir des candidats ou des partis.
Omniprésence des affiches de campagnes politiques
Alors que cet espace est interdit aux publicités commerciales, pour quelle raison permet-on à des institutions politiques d’afficher de la publicité aux bords des routes? Selon l’article 96 alinéa 1 de l’ordonnance sur la signalisation routière, la publicité ne doit en aucun cas gêner la visibilité ou l’attention des automobilistes. Les différents partis semblent respecter cette réglementation. Ils sont d’ailleurs contrôlés par les communes, le service cantonal des ponts et chaussées ainsi que la police cantonale.
D’aucuns sont contre la publicité en général dans l’espace public, comme certains activistes pour le climat et la décroissance. Une étude réalisée par Arnaud Prêtre en 2007 a estimé que nous recevons en moyenne 15’000 stimuli publicitaires en une seule journée. Cela va du spot publicitaire à la marque d’un vêtement, d’une annonce au logo d’un objet du quotidien. Ce chiffre est dingue, mais paraît concevable. Si l’on considère chaque tentative marketing d’encrer une marque dans les mémoires, le compte grimpe terriblement vite.
De ce point de vue, avait-on besoin de voir encore des affiches supplémentaires avec des visages connus ou encore inconnus? Il s’agit là de communication politique, donc destiné à informer la population de ses possibilités. Contrairement à un produit à vendre, l’élection aura une issue qui devra être représentative de l’avis du peuple. Quel que soit le nombre de personnes influencées, le but est de transmettre une information. Ce système de communication publicitaire est idéologique et non commercial. Là est toute la différence.
Analyse des affiches des différents partis
Maintenant que le décor est posé, regardons ce que les différents partis proposent en terme de communication visuelle. Sans rien divulgâcher, il y a du bon et du moins bon. La qualité des publications diffère, mais aussi la simple présence visuelle. Je vais essayer de mettre de côté des opinions politiques et d’analyser de la manière la plus franche possible la communication des différents partis pour la course au Conseil d’État. Malheureusement, les images d’affiches du Parti Chrétien Social et des Vert’libéraux ont été trop difficiles à trouver en ligne. Je n’en parlerai donc pas.
Liste 1, Le Centre
Le Centre affiche fièrement sa nouvelle identité. Basée à la fois sur la couleur orange et sur la courbe, elle donne l’avantage d’identifier clairement le parti sur tous les supports de campagne. L’accent de cette communication est mis sur les photos des candidats. En effet, la partie textuelle ne représente qu’un quart du support et les textes ainsi regroupés sont plutôt longs et non-hiérarchisés. Le slogan « La nouvelle force », mais aussi les noms des candidats sont traités comme légende et non comme accroche.
Les photos représentent l’essentiel de cette communication. Chaque candidat et candidate a été traité de manière séparée et leur présence côté-à-côte est artificielle. On ne décèle aucune connivence et très peu de liens entre eux. Ils n’expriment pas la même émotion. La candidate Menoud-Baldi a l’avantage de la couleur et de sa position centrale.
Liste 2, le Parti Socialiste
Le parti socialiste affiche une structure bien différente, mais avec une finalité assez similaire. L’image prend également logiquement une large part dans cette communication. Contrairement à l’exemple précédent, le slogan « Agir ensemble pour Fribourg » est mis en avant. Il chapeaute le support avec un caractère capital fort (voir L’influence de la police de caractères). La position de chaque nom permet une association claire avec les visages correspondants. Le rouge identitaire du PS se fait ici plutôt discret, les candidates et candidats, sortants en tête, occupent le devant de la scène.
Les photos sont à nouveau traitées de manière très artificielle. Un découpage de chaque silhouette et un montage permet de donner l’illusion d’une unité. Cependant le décalage entre le slogan prônant un « ensemble » et des images individuelles se fait ressentir. De plus, le fond flou totalement artificiel dessert à la fois le lien à la région et place les candidats dans une réalité alternative.
Liste 3, le Parti Libéral Radical
Le Parti Libéral-Radical met quant à lui beaucoup plus d’importance sur le nom de famille des candidats. On voit ici l’avantage de communiquer sur deux plutôt que trois personnes. Il y a de l’espace, les informations sont clairement hiérarchisées. À l’instar des premières listes analysées, les photos sont prises séparément et assemblées durant la mise en page. Cependant la qualité de la prise de vue et de la composition rend ce côté artificiel complétement assumé, harmonieux et homogène sur différents supports.
Le candidat sortant laisse le premier plan à son collègue. Ils sont habillés d’une manière identique, ce qui laisse place à leurs visages comme unique élément de différenciation. Les noms des candidats sont un atout pour leur communication commune. En effet, même si le nombre de caractère diffère légèrement, l’agencement du texte avec plus d’inter-lettrage pour le nom « Collaud » met les deux candidats sur un pied d’égalité dans un ensemble solide.
Liste 5, l’Union Démocratique du Centre
La communication de l’UDC est tout-à-fait singulière. Ici, nous voyons les valeurs du parti ainsi que son logo mis en premier plan. Les quatre candidats occupent environ deux tiers du support. Les photos prises sur fond noir et agencées côté-à-côté permettent une belle unité. L’uniformisation des costumes et types de visages des candidats masculins mettent en avant leur collègue féminine.
On constate ici une mise en avant plus marquée du numéro de la liste. Couplé à l’unité du fond noir et de la fusion visuelle des candidats, on comprend alors une volonté très claire de mettre l’accent sur le parti, ses valeurs et l’intention de faire voter une liste compacte.
Liste 7, Les Vert·e·s
Seule candidate au Conseil d’État pour les Vert·e·s, Sylvie Bonvin-Sansonnens peut ainsi concentrer son image et en dire un peu plus à propos de ses idées. Au lieu d’une simple photo portrait comme l’on fait les partis avec plusieurs candidats, elle se met en scène dans un milieu naturel, sur le terrain. Elle tient en main une motte de terre avec une pousse de chêne. Cette position semble plutôt artificielle, mais la présence de son nom en gros caractères donne une belle cohérence à la composition.
Visuellement et symboliquement, cette candidate montre qu’elle est prête à se relever les manches pour ses valeurs. Elle se montre au naturel en prenant sa place et en laissant largement assez pour son « environnement ».
Liste 8, le Parti des Artistes
Claudio Rugo du Parti des Artistes profite lui aussi de l’espace complet du support pour exprimer un peu plus de créativité. Il se met en scène en tant que singe de la sagesse, représentant celui qui ne « dit pas le mal ». Comparé aux autres, cela pourrait être également considéré comme un pied de nez aux partis présentant plusieurs candidats, les assimilant à des singes.
Textuellement, le message est on ne peut plus clair: un nom de candidat, un nom de parti. L’aspect visuel met en avant le côté artistique du candidat avec plusieurs couleurs et une référence claire au pop art. L’ensemble peut être lu à plusieurs niveaux, y compris celui de l’ironie.
Liste 9, le parti Démocratie Directe Spiritualités et Nature
Le parti Démocratie Directe Spiritualités et Nature présente sa candidate de manière un peu plus old school. La multiplication des types, tailles et graisses de caractères, la disposition hasardeuse des éléments et la photo de qualité amateure ne laissent que peu de place à une prise au sérieux. L’accent est mis ici sur la liste, dont le texte prend une part prépondérante. Ce choix de hiérarchisation de l’information, mettant la candidate en retrait, est assez logique en regard des valeurs exprimées sur d’autres supports.
On remarque ici l’importance d’une bonne image pour donner de la confiance et stimuler l’intérêt. J’imagine que ce parti émergent a moins de moyens que les partis traditionnels et je salue l’effort fourni et la prise de risques.
En définitive
Grâce à leurs communications visuelles, chaque parti a l’occasion d’exprimer son identité et se démarquer. Les partis historiques ont sans aucun doute plus de moyens que les émergents, mais nous pouvons remarquer que malgré la force financière, certaines erreurs ou inattentions peuvent faire dévier l’image perçue et les valeurs profondes.
Sources:
- Directives pour la pose d’affiches lors des campagnes électorales, 4 juillet 2019, site de l’État de Fribourg.
- « Casser une pub est moins violent que les entreprises qui détruisent l’environnement », 4 octobre 2021, RTS.
- Publicité, «part de cerveau disponible»… et libre-arbitre, 1er février 2007, Arnaud Prêtre.